Le numérique dans toutes ses formes s’impose comme la troisième révolution industrielle, remettant en cause radicalement nos modèles d’organisation encore très souvent hiérarchiques et tayloriens. Entreprises, institutions publiques, associations sont à la recherche de nouveaux relais de croissance ou simplement de solutions pour survivre. La taille est de moins en moins gage de pérennité.
De plus en plus de technologies de l’information deviennent des commodités au même titre que la nourriture, l’eau et l’énergie. Notre société de l’information se caractérise par une croissance exponentielle des données échangées. Les rythmes d’évolution sont tels que les modèles de prédiction traditionnels ne fonctionnent plus, l’incertitude quant au retour sur investissement est immense. Et un échec à grande échelle est très difficile à corriger. « Durant les deux dernières années, il s’est créé neuf fois plus de données que durant tout le reste de l’histoire de l’humanité. » – Exponential Organisations.
Le logiciel s’invite dans tous les secteurs d’activité et grignote rapidement les activités traditionnelles : le Digital impose son rythme et ses règles, redéfinissant à la fois les organisations, les processus, la culture, les valeurs, les pratiques et les comportements. Cette tendance est poussée par la montée de l’individualisme qui sous-tend les pratiques de consommation et tire le marché d’une logique d’offre unique vers une logique de « sur-mesure de masse ». Cette approche nécessite des outils de personnalisation et une chaine logistique extrêmement performante et reconfigurable capable de soutenir la diversité des produits et services.
Quelle organisation peut survivre aux 20 prochaines années ?
Difficile à dire, mais nous observons que les petites et moyennes organisations ayant une gestion long terme semblent mieux s’accommoder des changements que les grandes organisations cotées en bourse pour lesquelles la stratégie, basée sur le résultat, est plutôt tournée vers une logique de court terme. Dans ces structures plus lourdes et soumises à des objectifs plus stricts, il est naturellement complexe de remettre en question les organisations et les modèles économiques sur lesquels sont basés les actifs de l’entreprise. Les organisations hiérarchiques traditionnelles sont conçues pour s’accommoder de croissances linéaires et ne peuvent se transformer rapidement. Désormais, la cosmétique de surface ne suffit plus. Ceux qui n’auront pas acquis des capacités d’anticipation et d’adaptation mourront.
A contrario, les Entreprises Digitales, celles qui tirent aujourd’hui une grande partie de l’innovation, sont nativement conçues pour s’adapter et anticiper les transformations à un rythme soutenu. L’Entreprise Digitale et l’Entreprise Agile portent les mêmes gênes. L’Entreprise Agile délivre de nombreux enseignements sur les moyens d’opérer la mutation digitale des organisations.
Seules les startups sont-elles agiles ?
La réponse est assurément non. Les mouvements comme le Lean Startup prouvent que l’on peut créer les conditions de succès d’une startup dans une société établie. Mais cela requiert une transformation agile : la tentation est alors grande de créer de nouvelles directions et de laisser mourir les anciennes. Pourtant n’existe-t-il pas de solutions moins radicales ?
L’exemple General Electric démontre le contraire. En adoptant Lean Startup sur 40 000 de ses collaborateurs, l’entreprise a réussi à développer plus rapidement ses produits et à moindre coût.
[su_heading]L’agilité n’est pas une option, elle ne se décrète pas, elle nécessite une vraie conviction de la Direction Générale et doit être utilisée comme un facteur de différenciation.[/su_heading]
L’Entreprise Digitale est une Entreprise Agile
Devenir une Entreprise Digitale nécessite de repenser son modèle opérationnel
L’Entreprise Digitale ne se limite pas à intégrer des technologies de pointe dans les processus – préexistants ou non – de l’entreprise. Il ne s’agit là que d’une transformation de surface, qui est déjà en cours dans bon nombre d’organisations. L’Entreprise Digitale s’appuie sur des principes forts : aller vite et penser loin, penser client, penser en rupture, s’attacher à la valeur créée plus qu’à la préservation des actifs existants, détenir les talents et les protéger de la tentation de complexité. Pour ce faire, l’entreprise a besoin d’innover, d’expérimenter et de satisfaire les besoins clients dans des délais souvent courts. Trustée par les Digital natives de la génération Y, l’Entreprise Digitale se doit d’en adopter les codes et notamment les codes sociaux, éthiques et managériaux.
Dans la plupart des entreprises, l’organisation, les processus et les structures de gouvernance existants ne sont pas encore adaptés pour réaliser les ambitions de l’Entreprise Digitale.
L’Entreprise Agile comme moyen de parvenir à l’Entreprise Digitale
« Face à un environnement turbulent, l’agilité est la capacité à anticiper et bouger avec justesse et de manière coordonnée pour aller dans un même sens ». – Jérôme BARRAND (1)
L’Entreprise Agile apporte des réponses aux besoins de l’Entreprise Digitale. Elle s’impose même comme le modèle opérationnel répondant au mieux aux enjeux de la transformation digitale.
Une entreprise agile se caractérise par trois marqueurs principaux :
- Sa capacité à anticiper les conséquences de ses actions et décisions en prévoyant, planifiant et construisant des scénarios ;
- Sa capacité à innover de manière juste pour s’améliorer, faire la différence et ne changer que ce qui est nécessaire, c’est-à-dire à éviter la surenchère inutile d’innovation ;
- Sa capacité à coopérer avec son écosystème en s’alignant sur un sens commun et à favoriser la coopération des individus qui la composent en interne.
La performance de l’Entreprise Agile repose sur l’équilibre entre la satisfaction des clients, des collaborateurs et celle des actionnaires. Les décisions sont prises en tenant compte de l’équilibre entre ces trois dimensions.
Ses trois marqueurs reposent sur un constat : l’organisation peut être représentée comme un système complexe formé de ses collaborateurs et de leurs relations. Ce système collabore avec des partenaires, fournisseurs et des clients qui forment un système plus étendu. Cette approche systémique de l’organisation permet de mieux en appréhender les fonctionnements complexes et d’adopter une approche radicalement différente pour sa transformation.
Une Entreprise Agile (EA) :
- Est fortement orientée client: les équipes sont en prise directe avec leur client et possèdent toute la latitude pour décider ce qui est bon pour la performance globale ;
- Encourage l’expérimentation: l’EA inscrit dans ses gènes l’analyse de chemins alternatifs pour développer une solution et maximiser la performance globale.
- Accepte l’échec: l’échec rapide est admis comme conséquence naturelle de l’expérimentation (« fail fast »).
- Encourage l’innovation. L’EA encourage l’initiative individuelle en accordant du temps aux salariés pour développer leurs propres projets et innover. Par exemple Google ou Atlassian accordent du temps à leurs employés de manière régulière pour faire émerger les innovations de demain. La majorité des ruptures majeures sont issues de ces temps de réflexion. L’innovation n’est pas le fruit d’une seule personne mais bien un effort de tous quelle que soit sa position dans l’entreprise. L’arrivée de la génération Y pousse elle aussi les organisations à revoir leur modèle et intégrer ses caractéristiques. Ainsi par exemple 78% d’entre eux considèrent l’innovation comme un facteur discriminant de leur motivation (Deloitte Millenial Survey 2014).
- Développe et respecte ses collaborateurs: l’EA se repose sur des managers qui développent leurs équipes en libérant les talents de chacun. Elle place ses collaborateurs au centre de sa création de valeur.
- Base ses décisions sur la valeur créée pour l’organisation : l’EA pilote par la valeur toutes ses décisions opérationnelles et analyse leurs conséquences sur le long terme.
Une Entreprise Digitale se doit nativement et sans ambiguïté d’être une Entreprise Agile
Les bénéfices pour l’Entreprise Digitale d’être une Entreprise Agile sont multiples :
L’agilité pour toute l’entreprise ?
Quelles directions sont impactées par l’agilité ?
De façon naturelle, l’agilité a commencé à se déployer au niveau des projets de développement informatiques. Le mouvement DevOps l’a étendue aux équipes de production informatique. L’Agile Marketing Manifesto l’a ensuite adapté aux directions marketing et digitales. Enfin, le Lean Startup les a étendues aux directions innovation et R&D et les directions opérationnelles. Le contexte mouvant et la nécessité d’expérimentation poussent toutes ces directions à collaborer et valider la pertinence des concepts qu’elles ont imaginés avant de les généraliser : l’agilité devient le pivot de cette relation transversale entre les directions.
L’agilité impacte également les directions supports. Pour les entreprises qui sous-traitent une partie de leurs projets, les directions juridiques et achat doivent se transformer pour adopter un système de contractualisation agile qui vient soutenir le système de pilotage par la valeur utilisé par les directions opérationnelles. Les directions financières doivent revoir leur modalité de contrôle budgétaire pour qu’il ne devienne pas un frein aux besoins d’adaptation permanente, en s’inspirant par exemple d’un mouvement tel que « Beyond budgeting ». Elles doivent également s’approprier des modèles issus du capital-risque pour financer des innovations au ROI incertain. Enfin, les directions des ressources humaines se retrouvent au cœur du dispositif pour recruter des talents adaptés à la transformation et accompagner le changement au niveau des équipes existantes.
Quelles populations sont impactées par l’agilité ?
L’agilité touche les collaborateurs dans leur quotidien. L’autonomie qui leur est donnée bouleverse leur rapport au travail et vient bousculer le rapport traditionnel avec leur hiérarchie.
Les managers intermédiaires doivent quant à eux se transformer en profondeur et adopter de nouvelles postures et de nouveaux comportements qui favorisent le travail de leurs équipes. On parle de « leader développeur » de ses collaborateurs.
Tout ceci ne peut fonctionner sans un leadership à haut niveau qui insuffle les valeurs de l’agilité dans toute l’organisation et porte l’étendard au-delà des frontières de l’entreprise pour transformer les relations avec les partenaires et les clients. Ces leaders comprennent l’avantage concurrentiel d’être agile et savent transcender les barrières classiques de l’organisation.
Dimensions d’une transformation agile d’entreprise
A quelle échelle déployer l’agilité ?
L’agilité permet de réduire le temps entre l’identification d’une idée et sa mise sur le marché. Plus la chaine traitée par l’agilité est large, plus les gains en termes de Time To Market, de productivité et de qualité perçue sont importants.
Naturellement, on optimise le cycle de développement avec l’agilité, mais cela reste de l’optimisation locale. Démarrer l’optimisation dès l’identification de l’idée, l’expression de besoin et sa qualification permet de réduire bien plus fortement le temps de cycle.
On constate ainsi sur certaines organisations que plus des trois quarts du temps de cycle sont consacrés aux phases en amont de la réalisation !
Plus la transformation agile est large, plus les bénéfices en sont importants.
Les dimensions d’une transformation agile
Une Entreprise Agile repose à la fois sur un modèle opérationnel agile,
un SI agile et des comportements agiles de ses collaborateurs
L’agilité touche aux processus, aux pratiques, à l’organisation et la gouvernance de l’entreprise : c’est-à-dire à l’ensemble de son modèle opérationnel.
Les principaux processus touchés sont ceux de la dorsale « Concept To Cash », de l’idée à sa mise sur le marché). Il s’agit des processus de gestion de la demande, gestion de portefeuille, gestion de programme, gestion de projet, gestion budgétaire et d’allocation des ressources qui sont touchés par la mise en place de pratiques agiles.
Il existe un corpus de pratiques agiles qui permet de couvrir l’ensemble de ces processus : le Scaled Agile Framework. Ce framework apparaît aujourd’hui le plus abouti, dispose de nombreuses références et fait état d’importants gains business de 20 à 50% en matière de délai de mise sur le marché, de productivité et de qualité.
Le Scaled Agile Framework a été déployé avec succès chez plusieurs grands comptes français pour répondre à d’importants enjeux de réduction de Time To Market et de digitalisation de leurs activités.
Le Scaled Agile Framework étend largement les pratiques issues de Scrum aux dimensions portefeuille, gestion de programme et équipe tout en conservant les caractéristiques d’autonomie des équipes. Il repose sur des fondamentaux Lean et fait une part importante au management agile et à son impact sur les collaborateurs. Au départ conçu pour l’informatique, il peut facilement être étendu à d’autres directions.
L’Agilité fait émerger de nouveaux rôles et des structures adaptatives en réseau
La transformation de ces processus fait émerger de nouveaux rôles dans l’organisation, mais nécessite aussi de revoir les rattachements hiérarchiques et les structures pour favoriser l’autonomie des équipes à taille réduite. On citera par exemple le nouveau rôle de Product Manager dans le cas d’une approche centrée produit à l’instar d’Arkea (Informatique du Crédit Mutuel de Bretagne) qui a mis en place ce type d’organisation.
Une gouvernance révisée pour favoriser la prise de décision au bon niveau
La gouvernance est revue pour en décentraliser les décisions qui peuvent être prises au niveau des équipes et les règles les plus rigides sont remplacées par des conventions plus souples négociées entre les parties.
Par exemple à la DSI, pour des décisions d’architecture simple, la gouvernance agile propose d’éviter les passages en comité d’architecture tous les mois alors que les équipes fonctionnent sur des rythmes de deux semaines.
Le comportement agile des collaborateurs et managers
Transformer son modèle opérationnel ne peut pas se faire de façon immédiate. Il est nécessaire d’opérer la transformation de manière douce et contrôlée. Là encore, le déploiement de l’agilité en amélioration continue se fait en appliquant les principes même de l’agilité.
Adopter ces nouveaux modèles opérationnels, ces organisations et cette gouvernance passe par la transformation des comportements des collaborateurs et des managers. Afin d’éviter tout rejet, il est même préférable de s’attaquer à ce sujet de gestion du changement le plus tôt possible et de l’adosser à une vrai démarche d’analyse du contexte de l’entreprise. Il est important d’étudier sa culture, ses valeurs et les comportements systémiques dominants. On peut s’appuyer par exemple sur l’Agile Profile de la société Agil’OA pour évaluer les comportements individuels ou de groupes qui peuvent être des freins à l’adoption de l’agilité. On peut ainsi mesurer l’agilité comportementale sur 6 axes (Empathie systémique, Synchronisation, Intelligence de situation, Proaction, Rébellion constructive et Pédagogie relationnelle).
Outre les collaborateurs, les managers sont les plus impactés par la mise en place de l’agilité. Leur mission et leur posture vis-à-vis des collaborateurs est profondément transformée : d’un rôle de gestionnaire ou d’expert ils doivent passer à un rôle de développeur de leurs collaborateurs et porter une vision pour les guider. Il est difficile de se transformer ainsi sans accompagnement. Le Framework Management 3.0 adresse toutes les dimensions de cette transformation et aide les managers à adopter les nouveaux comportements de manager agile.
Le Système d’information agile
Un modèle opérationnel repose sur un système d’information qui doit lui-même se transformer pour ne pas devenir un frein à la recherche d’un maximum d’agilité.
Cette transformation s’applique à 3 niveaux :
- Une urbanisation des SI métiers mise en œuvre graduellement en combinant des approches orientées services/API pour faciliter la réutilisation des fonctions cœur de métier et des solutions Saas pour les processus non différentiant,
- L’automatisation de toute la chaine de production applicative dans une approche DevOps pour réduire le temps entre l’idée et sa mise en production ;
- Un plan de résolution de la dette technique pour favoriser la vélocité des développements.
Par où commencer sa transformation digitale et agile ?
Définissez le sens de votre transformation
L’agilité n’est qu’un moyen de rendre plus rapidement opérationnelle une stratégie : commencez donc par bien définir le sens de votre transformation vers l’agilité. Quels en sont les objectifs ? En quoi cela sert-il la stratégie de votre entreprise ? En quoi cela va-t-il vous rendre différent sur votre marché ? En quoi chaque collaborateur va-t-il être concerné et impliqué dans cette transformation ?
Le sens étant l’un des moteurs principaux de la motivation des collaborateurs, cette étape est primordiale pour mettre le système en mouvement.
Démarrez en adoptant des comportements plus agiles
Afin de sécuriser l’adoption de l’agilité et de minimiser l’impact sur le modèle opérationnel dans un premier temps, analysez les comportements en vigueur, identifiez les freins à l’adoption de l’agilité et mettez en place les actions sur l’environnement ou les collaborateurs pour en transformer les comportements afin de les aligner avec votre besoin propre d’agilité.
Concentrez-vous sur la chaine « concept to cash »
Optimisez la chaine « concept to cash » dans sa globalité ; trop souvent, nous avons vu des optimisations locales qui certes affichent des gains, mais qui sont largement inférieurs à une révision plus large de la chaine.
Déployez les chantiers par vagues successives
Déployer l’agilité en utilisant l’agilité : constituez des backlogs priorisées et valorisées de vos transformations de modèles opérationnel, SI et de Changement et synchronisez les sur une même cadence afin d’en aligner les objectifs.
Démarrez votre backlog de transformation du SI par les projets digitaux et innovants.
Référence :
(1) : Jérôme Barrand est l’auteur de Développer l’agilité dans l’entreprise, l’Entreprise Agile, Le manager Agile. Professeur à Grenoble École de management et Fondateur de l’Institut d’Agilité des Organisations.