Le digital impose un nouveau rythme et redéfinit les organisations, les processus, la culture, les valeurs, les pratiques et les comportements. Les entreprises agiles, capables de tirer partie de l’innovation, s’adaptent mieux à ces bouleversements. L’agilité ne se réduit toutefois pas à la capacité d’anticiper,
d’innover et de coopérer.
L’entreprise véritablement agile place la valeur au centre de son processus décisionnel ce qui implique de mettre en place un modèle de contractualisation et un mode de pilotage des projets centrés sur la valeur créée.
Les méthodes agiles de pilotage de programme ou projet privilégient la réalité opérationnelle et invitent à appréhender différemment la négociation contractuelle et la gestion des projets informatiques, dans une démarche collaborative entre client et prestataire. Rompant avec les contrats de développement ou d’intégration classiques qui réservent à l’expression initiale des besoins un rôle déterminant, les contrats agiles permettent d’éviter de nombreux effets pervers : une gestion des ressources à l’économie par le prestataire au détriment de la qualité, une renégociation systématique en cours de projet à chaque changement fonctionnel et la poursuite d’un projet qui dérive. Les méthodes agiles ont ainsi libéré les contrats de développement et d’intégration de leur carcan trop rigide et formaliste. Cependant, même lorsqu’elles ont entamé leur transformation vers l’agilité, les entreprises continuent bien souvent de contractualiser les projets selon deux formes basiques : la régie (mise à disposition de ressources) ou le forfait (engagement du prestataire sur un périmètre et un délai de réalisation pour un montant global), avec la variante de la régie forfaitisée (mise à disposition de ressources dans la limite d’un montant global).
Dans les deux cas, les projets sont abordés sous l’angle de leur coût et non de la valeur qu’ils apportent à l’entreprise et celle-ci n’est donc pas prise en compte dans la relation entre les parties. En régie, le coût est directement proportionnel au temps passé. Au forfait, le coût anticipé repose sur la connaissance a priori du périmètre du projet et de sa stabilité dans le temps, cette analyse prédictive étant particulièrement délicate à manier. Au rythme des changements auxquels sont soumises les organisations, la stabilité du périmètre est devenue un leurre qui fait dériver les projets ou mène au contentieux. Sous la pression des directions achats , la régie tend à disparaître au profit du forfait censé offrir davantage de visibilité.
Néanmoins, l’ambiguïté de ce modèle est qu’il repose bien souvent sur un marché de dupe lié aux incertitudes du périmètre, quand bien même le risque serait réduit en mode agile par la pratique du mini-forfait couvrant un sprint ou des fonctionnalités identifiées.
Replacer la valeur au centre de la relation contractuelle
Dans la perspective de replacer la valeur au centre de la relation contractuelle, quel modèle contractuel faut-il alors mettre en place ?
Le principe est d’adopter un modèle contractuel qui fixe le délai et le coût en fonction de la valeur à produire et de la valeur effectivement produite, en faisant varier le périmètre fonctionnel. Afin de maximiser la valeur produite dans le temps, en suivant le rythme des changements (réglementaires,
concurrentiels, etc.). Selon ce modèle contractuel agile, le projet doit permettre d’atteindre un seuil minimum de valeur acquise lequel peut d’ailleurs fluctuer au cours de l’avancée du projet. Le projet s’arrête lorsque le client estime que suffisamment de valeur a été créée et non plus quand le périmètre est intégralement réalisé avec le risque de dépenser trop et de retarder inutilement la fin du projet. Comme tout contrat agile, ce modèle suppose de manier les concepts de l’agilité pour contractualiser et piloter sereinement les projets (story point , sprint , incrément , done , coût du story point , etc.) mais en gardant à l’esprit que l’enjeu derrière ces indicateurs est de motiver le prestataire à produire de la valeur, en favorisant le changement et l’équilibre entre les intérêts du client et de son prestataire.
Partant de l’idée que le client ne peut obtenir que ce qu’il mesure, il est déterminant de contractualiser et de piloter les projets à partir d’indicateurs pertinents de la création de valeur.
La mesure de la valeur
Si le coût du Story Point est un indicateur pertinent de pilotage des projets, il ne permet toutefois pas de mesurer la valeur créée. Le ROI (ratio valeur / effort), mêlant un indicateur client et un indicateur prestataire, permet de fixer un objectif mais s’adapte mal aux multiples changements qui interviennent au cours des projets et notamment au mécanisme de « change for free » des projets agiles. En revanche, le cost of delay qui représente la valeur et l’envisage dans toutes ses dimensions (valeur métier, criticité temporelle et réduction de risque ou opportunité dégagée) permet de piloter les projets par la valeur et de suivre cet indicateur au fil du temps.
Ce concept permet en effet de modéliser la valeur, tout en permettant de valoriser le bénéfice à réaliser un projet par rapport au gain manqué en cas de non-réalisation et permet donc de comparer différents projets d’un même portefeuille. Concrètement, le cost of delay est déterminé de manière
collaborative entre les représentants métier et l’équipe projet et permet de chiffrer et de suivre la réalisation d’un objectif exprimé en valeur relative pour un projet donné. Le cost of delay ne tient cependant pas compte de l’effort à fournir par le prestataire pour développer la solution qui s’estime par le Story Point. Les Story Points permettent en effet de déterminer initialement l’effort à produire, tant au niveau de la fonctionnalité à développer qu’au niveau des incréments. En général, les Story Points sont estimés de manière collaborative par les équipes qui ont la compétence pour réaliser les incréments. Il s’agit d’évaluer une unité relative qui serve de référence pour évaluer l’effort, indépendamment du facteur temporel pris en compte dans la détermination du nombre et de la durée des Sprints.
La priorisation des projets ou des fonctionnalités s’effectue ensuite en rapprochant le cost of delay et le Story Point ; les projets ou fonctionnalités apportant le plus de valeur pour un moindre effort seront réalisés en priorité.
Enfin, les parties peuvent convenir de faire varier le coût du Story Point en fonction de la valeur créée ce qui permet d’associer pleinement le prestataire
à la réussite du projet et de l’inciter à créer de la valeur.
La contractualisation sur la valeur
Si agilité et contractualisation ne vont pas naturellement de pair, le contrat demeure l’instrument indispensable de la sécurité juridique des projets.
Simplement, le contrat ne doit pas constituer un frein à l’agilité mais être flexible, s’adapter à ce type de projets. Le contrat a vocation à porter ce type de pilotage par la valeur et à définir les droits et obligations des parties
dans ce contexte. L’articulation entre un contrat-cadre fixant et des contrats d’application permet de piloter un projet par la valeur.
Le contrat-cadre définit les clauses contractuelles générales, la collaboration, la gouvernance et les mécanismes d’arbitrage et de gestion du changement, que ces changements soient à l’initiative du client (évolution de périmètre) ou du prestataire (évolution de sa performance). Par exemple, le contrat-cadre détermine la capacité à produire du prestataire avec une marge de manœuvre suffisante pour absorber les changements sans nécessité de renégocier le contrat. Le contrat-cadre fixe également la durée du contrat, les cas de sortie et les conséquences de la résiliation du contrat. Il définit enfin le nombre d’itérations par contrat d’application et leur longueur pour inscrire le projet dans une temporalité faite de courtes itérations et faciliter la sortie du projet, en fonction de la valeur créée ou en cas d’échec en associant des mécanismes financiers adaptés au modèle économique du prestataire.
Le contrat d’application formalise une valeur cible, valorisée en cost of delay, ainsi qu’une valeur minimum à produire. Le contrat d’application décrit également le périmètre sous forme de fonctionnalités ou de user stories, valorisées en story point.
Ce périmètre permet de piloter les changements et leur impact sur la valeur produite et corrélativement, le coût du story point.
La contractualisation agile sur la valeur substitue ainsi des mécanismes de partage des bénéfices de la valeur produite, d’arbitrage et de gestion du changement aux mécanismes classiques dont la négociation peut s’avérer longue et difficile. C’est particulièrement le cas des clauses « dures » relatives à la responsabilité, aux pénalités et à la nature de l’obligation du prestataire, à la définition du périmètre et aux cas de résiliation du contrat. Côté client, les mécanismes d’arbitrage et de « change for free » couplés aux mécanismes de gestion du changement et de sortie facilitée du contrat fixent les bornes de manière souple. Côté prestataire, un engagement de valeur acquise minimum vient se substituer à l’obligation de résultat avec une variation du prix de l’unité d’effort en fonction de la valeur produite par itération et de sa qualité. Le prestataire est ainsi incité à augmenter sa productivité et sa capacité à faire pour livrer au plus tôt de la valeur. Attention toutefois à ne pas vouloir pousser à l’excès la vélocité au risque de mettre en péril la qualité !
C’est bien à l’équipe de décider des éléments sur lesquels elle s’engage en début de sprint sur la base d’une vélocité acceptable.
Agilité, flexibilité et création de valeur
Pour être pleinement agiles, les équipes opérationnelles, les acheteurs et les directions juridiques doivent faire évoluer leurs modèles et sortir des mécanismes classiques pour adopter une approche centrée sur la création de valeur au sein de l’entreprise. Mettre en place ce type de contrat, étroitement lié au pilotage des projets, implique une conduite du changement et un accompagnement juridique des acteurs (opérationnelles, juristes, acheteurs) car elle implique une transformation des processus et une plus grande collaboration. Dès lors que l’ensemble des acteurs partage les concepts et les indicateurs, les négociations sont facilitées, la collaboration peut primer sur la négociation contractuelle et cette approche pragmatique se révèle alors extrêmement productive.
En collaboration avec Eléonore Varet.
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